La recherche scientifique, comment ça marche ?

Dans cet article (un peu long je vous l’accorde), je vous propose de suivre les étapes d’une recherche scientifique.

Dans un premier temps, je vous présenterai une étude portant sur l’impact du mode d’élevage chez les perroquets gris du Gabon. Cette étude s’intitule The influence of the breeding method on the behaviour of adult African grey parrots (Psittacus erithacus). Elle a été publiée en 2005 dans Applied Animal Behaviour Science, par Schmid, Doherr & Steiger. L’étude est disponible ici. J’en ai résumé la méthodologie et les résultats de façon détaillée, et, je l’espère, accessible. Mes commentaires personnels sont en vert italique dans le texte.

Dans un second temps, je vous expliquerai comment on peut limiter les biais dans le cadre d’une recherche, et pourquoi l’expérience personnelle ne peut se substituer à une étude scientifique publiée dans une revue spécialisée.

Bonne lecture 🙂

 

Résumé de l’étude

Influence de la méthode d’élevage sur le comportement chez les perroquets gris du Gabon adultes

Schmid et al. (2005)

Introductionc’est la partie qui pose le cadre théorique, toutes les références des informations données sont dans sourcées dans l’article

Les conséquences exactes des différents types d’élevage à la main demeurent méconnues. La durée de la période sensible, pendant laquelle l’oisillon s’imprègne d’une espèce, n’est pas vraiment déterminée. Cette période semble cependant s’étendre au-delà de la présence au nid et implique de multiples composantes. Les perroquets gris élevés à la main pourraient donc développer différents troubles comportementaux. Bien que ces perroquets montrent une adaptation relativement bonne, ils développent en effet souvent des problèmes de comportements en captivité. Les observations en milieu naturel sont très difficiles, car les perroquets gris se dissimulent dans les arbres.

Le but de cette étude est d’évaluer l’occurrence de troubles comportementaux en lien avec différents méthodes d’élevage.

(*) l’impact des différentes méthodes d’élevage à la main a été évalué

(*) ces méthodes ont été contrôlées entre elles

(*) le facteur environnement n’était pas homogène pour tous les oiseaux car la recherche a été effectuée chez des particuliers

! J’y reviendrai plus loin mais cet élément a été pris en compte dans les statistiques, ce qui permet de valider l’étude malgré ce point

 

Animaux et méthode c’est la partie où les auteurs décrivent la méthodologie scientifique utilisée. Cette méthodologie doit être minutieusement explicitée : elle doit permettre à n’importe quel autre chercheur de reproduire l’étude à l’identique. 

Sujets

Une seule espèce de perroquets a été étudiée, afin d’éviter les différences comportementales interspécifiques. Les perroquets gris ont été retenus en raison de leur tendance à développer des problèmes en captivité.

Chaque oiseau devait avoir au moins 3 ans. Ses origines devaient être connues du propriétaire. Les oiseaux ne devaient pas être détenus dans le cadre de la reproduction.

103 perroquets gris ont été étudiés. Les perroquets étaient répartis selon les groupes suivants :

–          64 ont été élevés à la main

–          13 ont été élevés par leurs parents

–          26 ont été capturés dans la nature

L’échantillon comptait 34 mâles, 34 femelles et 33 oiseaux au sexe indéterminé.

! Le nombre de perroquets n’est pas le même dans chaque groupe. En l’état, il semble donc difficile de les comparer. Ce n’est pas grave : ces inégalités seront prises en compte dans les statistiques pour que les résultats restent valides.

7 oiseaux avaient 3 ans ; 34 avaient entre 4 et 7 ans ; 33 entre 8 et 15 ans ; 21 entre 15 et 35 ; 8 avaient plus de 35 ans.

31% des oiseaux étaient maintenus avec un ou plusieurs autres perroquets gris.

 

Oiseaux élevés à la main

Les 64 perroquets élevés à la main ont été répartis en groupe, en fonction de la méthode d’élevage. Certaines informations n’ont pas pu être obtenues pour certains sujets. Le nombre d’oiseau varie donc en fonction des groupes.

! Les méthodes d’élevage ne sont pas homogènes ici, comme l’expliquent les auteurs. Une fois de plus ce n’est pas un problème, puisque les paramètres qui varient ont été identifiés et décrits. Les oiseaux ont été classés en fonction de ces paramètres. Ces différences ont également été prises en compte dans les statistiques afin que cela n’invalide pas les résultats obtenus. 

–          22 oiseaux viennent d’œufs incubés ou sont restés moins de 2 semaines avec leurs parents

–          13 oiseaux ont été laissés 4 semaines avec leurs parents

–          12 oiseaux ont été retirés du nid après 12 semaines

–          13 oiseaux sont restés au moins 13 semaines avec leurs parents

Concernant la méthode de nourrissage, 22 oiseaux ont été nourris à la cuillère ou seringue.

 

Fréquence des contacts humains :

–          14 oisillons ont été élevés dans une pièce avec contact minimum de l’éleveur (nourrissage)

–          22 oisillons étaient dans une pièce inhabitée de la maison mais avec quelques contacts (auditif,…)

–          23 oisillons avaient des contacts très rapprochés avec l’éleveur

 

Sevrage :

– 29 oiseaux ont été achetés sevrés

– 30 oiseaux ont été achetés non sevrés

 

Visite chez le propriétaire et questionnaire

Un questionnaire contenant essentiellement des questions fermées (oui / non) a été utilisé. Les critères subjectifs (par exemple l’agressivité) ont été décrits en objectivant un certain nombre de facteurs (par exemple attaques en vol, violence de la blessure,…).

Tous les entretiens étaient menés par le même expérimentateur, pour qu’ils se déroulent de façon similaire. Les oiseaux étaient observés pendant ce temps-là (environ 2 heures). 10 minutes étaient ensuite passées à étudier l’animal attentivement.

Pour chaque oiseau, la méthode d’élevage a été déterminée avec l’éleveur par téléphone suite à l’entretien avec le propriétaire.

 

Les troubles comportementaux observés étaient les suivants :

–          Mouvements stéréotypés

–          Habitudes nerveuses répétitives

–          Comportements phobiques

Ces comportements sont définis dans l’article.

 

Analyses statistiques

Ces analyses ont été conduites pour savoir si les résultats obtenus peuvent être étendus à la population générale des gris du Gabon. Elles ont également pour but d’évaluer les effets que certains facteurs pourraient avoir sur les résultats. L’influence des paramètres environnementaux a été distinguée de celle engendrée par la méthode d’élevage. Ces paramètres (âge de l’oiseau, nombre de propriétaires précédents, contact social avec d’autres perroquets, taille de la cage, plumes taillées, etc.) ne sont pas discutés dans l’étude pour éviter d’alourdir le texte. Mais tous ont été pris en compte dans l’analyse statistique.

 

Ce qu’il faut comprendre ici, c’est que les auteurs ont vérifié :

(1)    Que les paramètres environnementaux ne biaisaient pas les résultats obtenus en fonction de la méthode d’élevage. C’est-à-dire que si on trouve un trouble comportemental plus important chez un oiseau élevé à la main, c’est bien l’élevage à la main qui est en cause et pas la taille de la cage, le manque de congénères, etc.

(2)    Que le type d’élevage à la main ne biaisait pas les résultats obtenus. Les résultats présentés concernent toutes les méthodes d’élevage à la main sans distinction sauf lorsque c’est précisé, autrement dit si on trouve un trouble du comportement chez les oiseaux élevés à la main, ça vaut pour tous les types d’élevage à la main et pas juste pour un.

 

Résultats

Traits comportementaux des oiseaux indépendamment de la méthode d’élevage

–          13 oiseaux avaient déjà attaqué quelqu’un en vol ; 12 gris étaient considérés comme véritablement agressifs ; 8 criaient de façon problématique pour le propriétaire

–          52 perroquets étaient ou avaient été victimes de picage ; 31 d’entre eux se piquaient toujours au moment de l’entretien ; 9 se piquaient de façon occasionnelle ; le statut de 4 oiseaux était non défini car le picage n’avait jamais été observé mais le plumage était anormal ; 7 oiseaux ne se piquaient plus au moment de la visite

–          28 perroquets souffraient de mouvements stéréotypés ; 18 perroquets montraient une ou plusieurs habitude nerveuse

–          26 perroquets avaient développé une phobie spécifique

–          31 perroquets quémandaient de la nourriture ; 21 propriétaires y répondaient favorablement ; 29 perroquets considéraient leur propriétaire comme partenaire sexuel et montraient des comportements sexuels actifs vis-à-vis deux ; 14 oiseaux avaient choisi un autre perroquet comme partenaire ; 10 oiseaux avaient une vie sexuelle présumée normale avec un autre perroquet, bien qu’aucune copulation n’ait été observée ; 22 sujets étaient maintenus en couple mais sans montrer aucun comportement sexuel

Influence de la méthode d’élevage sur le comportement des oiseaux

–          Les oiseaux élevés à la main étaient significativement plus agressifs vis-à-vis des humains et les attaquaient plus fréquemment en vol que les autres

–          Les oiseaux élevés à la main étaient plus exclusifs

–          Les oiseaux élevés à la main quémandaient de la nourriture significativement plus

–          Les oiseaux capturés dans la nature avaient plus de comportements phobiques que les autres

–          Les oiseaux capturés étaient plus victimes de picage : 42,2% des oiseaux élevés à la main s’étaient déjà piqués ; 53,8% chez les oiseaux élevés par leurs parents et 65,4% chez les oiseaux capturés. La méthode de picage différait selon les groupes : les oiseaux élevés à la main mâchaient plus leurs plumes ; les autres les arrachaient. Tous les oiseaux présentant un problème de toilettage (trop ou pas assez) étaient élevés à la main.

–          Au moment de la visite, les oiseaux élevés en captivité étaient en meilleure santé que ceux capturés dans la nature. Les oiseaux élevés par leurs parents étaient dans un état de santé supérieur aux autres.

! Dans les statistiques, les auteurs précisent qu’ils ont étudié l’effet de l’environnement sur les résultats. Cela signifie que ces résultats sont valides quelles que soient les conditions de détention. Ils ne peuvent donc pas être expliqués ici par une absence de congénère, des plumes taillées, une trop petite cage, etc…

Dans ces mêmes statistiques, les auteurs précisent également qu’ils ont étudié l’effet de la méthode d’élevage à la main sur les résultats. Cela signifie que ces résultats sont valides quel que soit le type d’élevage à la main

 

Dans une seconde partie, les auteurs précisent les résultats en fonction de la méthode d’élevage, en s’intéressant plus spécifiquement à 4 critères : (1) l’âge de séparation avec les parents (2) la méthode de nourrissage (3) le contact avec les humains et (4) la période de sevrage.  

 

Age auquel les oiseaux élevés à la main ont été retirés à leurs parents – influence sur le comportement

–          Les oiseaux retirés de leurs parents avant 5 semaines développaient plus de stéréotypies (37%) que ceux restés au nid plus longtemps (8%)

–          Les oiseaux issus d’œufs incubés ou restés moins de 2 semaines avec leurs parents montraient plus de comportements sexuels anormaux et étaient sexuellement moins actifs (36,4%) que les autres (69.2% pour 4 semaines, 58.3% pour 6 semaines, 69.2% pour 8 semaines)

 

Influence de la méthode d’élevage sur le comportement des oiseaux élevés à la main

–          Les oiseaux nourris par sonde d’alimentation étaient significativement plus agressifs vis-à-vis des humains à l’âge adulte que ceux nourris avec des cuillères ou des seringues

–          37,5% des oiseaux nourris par sonde attaquaient les humains en vol

–          13,6% des oiseaux nourris avec des pipettes ou des cuillères et 10% des oiseaux nourris avec des seringues montraient ce comportement

–          Au moment de la visite, la santé des oiseaux nourris par sonde était significativement pire que celle des autres

 

Influence du contact avec les humains pendant l’élevage des oiseaux élevés à la main

Ici, seuls les oiseaux maintenus avec un congénère pendant l’élevage ont été analysés.

– 87.5% des oiseaux élevés avec un contact humain minimum montraient un comportement sexuel normal avec les autres perroquets, vs 41,7% pour les perroquets élevés dans la maison d’un humain

Ce résultat n’est pas généralisable à la population générale, car les auteurs indiquent qu’il n’est pas significatif. Ici, on peut donc seulement parler de tendance.

 

Influence de la période de sevrage sur le comportement des oiseaux élevés à la main

–          Les perroquets sevrés chez l’éleveur étaient plus victimes de picage que ceux vendus avant sevrage

–          Cependant, les perroquets vendus avant sevrage avaient un plumage en plus mauvais état

 

Discussion c’est la partie qui discute les résultats et les confronte à ceux d’autres études, comme pour l’introduction toutes les références des informations données sont dans sourcées dans l’article. Ici, on fait des hypothèses et on ouvre le sujet pour des recherches futures.

Les résultats montrent que les oiseaux élevés à la main sont plus agressifs. Ces conclusions rejoignent celles pointées par de nombreux auteurs concernant l’agressivité chez les oiseaux élevés à la main.  Alors que les perroquets élevés par leurs parents pincent surtout par peur, les oiseaux élevés à la main semblent ne plus craindre l’être humain. L’imprégnation et le manque de socialisation pendant le jeune âge favorisent également des comportements d’exclusivité vis-à-vis de l’être humain. Ils choisissent donc des partenaires humains.

Les oiseaux élevés à la main montrent aussi plus de comportements infantiles type quémande. C’est une autre conséquence probable de l’imprégnation à l’être humain. Cela peut aussi être lié au fait que le sevrage n’est pas effectué de la même manière par un éleveur et par un parent perroquet. Ces oiseaux seraient donc moins indépendants.

Les causes sous tendant les troubles de toilettage (1) trop et (2) pas assez sont probablement différentes. Le manque de toilettage peut être lié un défaut d’apprentissage en raison d’un contact trop limité avec d’autres oiseaux pendant la période d’élevage à la main. Un toilettage trop intense peut également être lié à un défaut d’apprentissage, ou à un début de picage.

Les comportements phobiques développés par les oiseaux capturés sont probablement une conséquence traumatique de la capture. Leur mauvaise santé pourrait découler des antibiotiques administrés pendant la quarantaine et du stress de l’importation. Les différents stress engendrés par la capture, l’importation et la détention des oiseaux nés dans la nature sont probablement responsables des nombreux comportements de picage observés dans cette catégorie.

Les résultats suggèrent également que le développement des perroquets pendant les 2 premières semaine de vie est essentiel pour la maturation d’un comportement sexuel normal et le développement de l’activité sexuelle. Ces oiseaux sont particulièrement imprégnés à l’être humain, même s’ils sont maintenus avec d’autres poussins pendant la période d’élevage à la main.

Les oiseaux nourris avec des méthodes invasives sont plus agressifs et en plus mauvaise santé. Cela peut être lié au stress et à l’inconfort engendré par ces méthodes.

Les résultats montrent également que le fait de vendre un oiseau non sevré a des conséquences négatives sur le comportement.

Conclusion c’est la partie où les auteurs concluent sur ce que nous apprend l’étude 

Les résultats confirment que la méthode d’élevage a un effet évident sur l’apparition de troubles comportementaux chez les perroquets gris. La majorité de ces problèmes peuvent être expliqués par l’imprégnation des oiseaux à l’humain.

Certaines méthodes de nourrissage et d’élevage à la main ont des conséquences moins négatives sur le comportement de l’adulte, notamment l’utilisation d’une cuillère, d’une seringue ou d’une pipette, un temps suffisamment long passé au nid et un contact minimum avec l’humain.

Par ailleurs, s’ils sont élevés à la main, les oisillons devraient toujours l’être avec des congénères appartenant si possible à la même espèce. Une fois qu’ils quittent le nid, il est également indispensable de les laisser au contact de congénères.

Les oiseaux élevés par leurs parents sont souvent des oiseaux équilibrés qui ont appris tous les comportements propres à leur espèce. Cette méthode permet de plus aux parents d’élever leurs petits naturellement, ce qui constitue certainement un bénéfice considérable pour leur bien-être.

 

Comment limiter les biais dans la recherche scientifique ? 

 

Ce que nous apprend cette étude

Cette étude ne nous dit PAS

–          Que TOUS les oiseaux élevés à la main développeront des troubles du comportement

–          Que TOUS les troubles du comportement sont imputables à l’élevage à la main

En revanche, elle nous montre qu’il y a EN MOYENNE plus de troubles du comportement chez les perroquets gris élevés à la main par rapport aux autres. Ces résultats sont valables quelles que soient les conditions de détention (taille de la cage, présence de congénères, ailles taillées, etc.) et le type d’élevage à la main (âge de séparation avec les parents, méthode de nourrissage, contact avec les humains, la période de sevrage).

Autrement dit elle nous montre que l’élevage à la main, de quelque type que ce soit, est un facteur de risque important dans l’apparition de troubles du comportement chez les perroquets gris du Gabon.

Bien sûr, il existe d’autres facteurs de risque dans l’apparition de troubles comportementaux : l’environnement dans lequel est maintenu l’oiseau joue également un rôle important. Par ailleurs, si toutes les méthodes d’élevage à la main ont des conséquences négatives, certaines ont des conséquences pires que d’autres.

 

Est-ce que tous les paramètres de cette étude ont été parfaitement maîtrisés ?

Non, probablement pas. Tout simplement parce que ce n’est JAMAIS le cas. Croyez-moi, c’est le rêve de tout chercheur de produire une étude parfaite. Mais ça n’est pas possible, on ne peut pas tout maîtriser.

·         Sur les études qui se déroulent en milieu naturel, c’est particulièrement compliqué. Parce que vous ne pouvez pas maîtriser la météo, la prédation, la photopériode, etc. Vous ne maîtrisez rien. On peut difficilement faire plus qu’observer, en ayant conscience des limites que cela comporte. Autant je pense que ce type de recherche est fondamental pour connaître les comportements naturels d’une espèce, autant quand on veut observer l’effet d’une variable sur le comportement ça demande des protocoles plus complexes.

·         Sur les études qui se déroulent en laboratoire, on peut maîtriser plus de choses. Mais pas tout. Notamment, on se retrouve avec des animaux qui ne sont pas en milieu naturel, et qui peuvent avoir des comportements moins spontanés.

·         L’étude présentée au-dessus propose un autre protocole, plus commun en psychologie qu’en éthologie. Là encore, se baser sur un questionnaire pour obtenir des réponses peut comporter des biais. Mais on peut se dire aussi que les résultats de cette étude s’appliqueront surtout à des oiseaux détenus par des particuliers. En ce sens, choisir un recueil de donné à domicile auprès du propriétaire, tout en observant les oiseaux concernés, avait du sens.

Quand on cherche à répondre à une problématique, le tout est donc de choisir la méthodologie qui correspondra le mieux au type d’étude qu’on veut mener.

 

Comment faire pour limiter les biais ? C’est toute la problématique de la recherche scientifique. Voici quelques éléments de réponse.

 

(1)    ON SE FORME A LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

Oui, c’est compliqué de monter une étude scientifique. Oui, il y a des tas, et des tas de paramètres à prendre en compte. Alors dans un premier temps, on se forme à la recherche scientifique. En France, ça demande de faire 8 années d’études après le bac : c’est le temps nécessaire pour être chercheur. Ça permet d’aborder de la façon la plus complexe possible la méthodologie et la mise en place d’un protocole scientifique. Ça permet aussi d’identifier un maximum de biais et d’apprendre à les contrer au mieux.

 

(2)    ON TRAVAILLE A PLUSIEURS

Parce qu’on est humain, et qu’on fait des erreurs. C’est normal. Alors oui, on peut laisser passer des choses. C’est pour ça qu’on est rarement tout seul sur une étude. Généralement, on s’y met à un ou deux chercheur.e.s, un ou deux doctorant.e.s, un ou deux stagiaires. Ça permet de confronter les points de vue. De réfléchir plus, mieux, plus loin. De mettre en place la méthodologie la plus adaptée possible à l’étude qu’on veut mener, pour éviter les biais au maximum.

 

(3)    ON OBSERVE LES ANIMAUX

Je le précise parce que ça n’a pas l’air évident pour tout le monde. Un chercheur en éthologie, ce n’est pas un vieux barbu reclus dans sa tour qui compile de vieux bouquins poussiéreux. C’est quelqu’un qui a des années d’expérience auprès des animaux qu’il étudie. Alors oui, on observe. Beaucoup. Beaucoup. Beaucoup. Sur certaines périodes, les journées commencent avant 8h et finissent après 23h, les semaines de travail durent 7 jours. On note tous les paramètres susceptibles d’influencer les résultats : l’heure, le jour, le sexe de l’oiseau, ses relations avec ses congénères, etc. Quand on travaille en laboratoire, on interagit aussi beaucoup avec eux. Les animaux, il faut aussi s’en occuper. On passe du temps à les habituer à nous. On vérifie s’ils vont bien. On les emmène chez le vétérinaire quand ce n’est pas le cas. Ce n’est pas parce qu’on produit des études scientifiques qu’on ne se construit pas une solide expérience à côté.

 

(4)    ON FAIT DES STATISTIQUES

Parce que même si on est formé à la recherche scientifique, même si on a travaillé sur le protocole à plusieurs chercheurs, même si on a passé des heures à observer, à noter les paramètres, ça ne suffit pas pour affirmer que les résultats sont fiables. Croyez-moi, les stats c’est pas la partie passionnante. Et ça peut vous foutre en l’air une étude si le test indique une mauvaise valeur. Si on pouvait se passer des stats ça nous irait très bien. Mais on ne peut pas. Les statistiques permettent entre autres :

–          d’étudier l’impact des paramètres non contrôlés. Dans l’étude présentée au-dessus, les auteurs ont par exemple regardé si la taille de la cage avait une influence sur les résultats. Une étude dont les paramètres ne semblent pas contrôlés n’est donc pas nécessairement invalide à partir du moment où ç’a été pris en compte dans les stats. Cette étape est très importante, parce qu’elle va nous permettre d’affiner nos conclusions.

–          de généraliser (ou pas…) nos résultats à la population générale. Même si on a passé des heures à observer et qu’on s’y est mis à plusieurs, parfois les conclusions des statistiques sont surprenantes, elles ne correspondent pas toujours à ce qu’on attendait. Mais sans ces statistiques, l’étude est tout simplement invalide.

 

(5)    ON DISCUTE DE NOS RESULTATS

Dans une partie qu’on appelle la discussion. On essaye d’expliquer le pourquoi des éventuels effets, on débat de ce qui ressort des statistiques. On confronte nos données avec celles d’autres études. Si ces études donnent des résultats différents, on essaye d’expliquer pourquoi. On remet nos hypothèses et nos conclusions en perspectives.

 

(6)    ON PUBLIE SON ETUDE DANS UNE REVUE SPECIALISÉE POUR QU’ELLE SOIT EVALUÉE PAR LES PAIRS

Parce que, non, tout ce qu’on a fait avant ne suffit toujours pas. Ça ne suffit pas d’avoir fait 8 ans d’études pour se former à la recherche scientifique. Ça ne suffit pas d’avoir mis en place un protocole avec d’autres gens qui sont tout aussi formés à la recherche scientifique. Ça ne suffit pas d’avoir observé nos animaux pendant des heures, et des heures, et des heures. Ça ne suffit pas d’avoir fait des statistiques pour identifier l’impact des paramètres et pour généraliser nos résultats. Ça ne suffit pas d’avoir confronté nos conclusions à d’autres études. Tout ça ne suffit pas pour prétendre qu’une étude scientifique est valide.

Parce que l’étape ultime, c’est celle de la publication dans une revue scientifique spécialisée. Alors on envoie sa recherche sous forme d’article là où on veut la publier. L’article est reçu par l’éditeur de la revue. Cet éditeur va la transmettre à deux ou trois « reviewers » : des chercheurs qui ont des thématiques de recherches équivalentes ou proches de celles évoquées dans notre article. Ces reviewers vont passer notre étude au crible fin : c’est ce qu’on appelle l’évaluation par les pairs. Ils vont à leur tour analyser la méthodologie, le protocole, les techniques d’observation, les statistiques, les résultats, et les conclusions qui en sont tirées. Parfois, l’étude est acceptée. Mais vous savez quoi ? Même dans ce cas ils vont trouver des failles. Ils trouvent TOUJOURS des failles : c’est leur rôle. Parce qu’ils ont un regard objectif nécessaire que nous n’avons pas quand on est plongé le nez dans ses expérimentations. Ils nous font leur retour détaillé et motivé en nous demandant de revoir les statistiques, les résultats, les conclusions qu’on en tire. Parfois ils nous demandent de refaire des observations. Après plusieurs allers et retours, enfin, l’étude est considérée comme valide.

Alors seulement elle est publiée dans la revue.

 

Remettre en cause la validité scientifique d’un article publié en revue spécialisée, c’est remettre en cause toutes ces étapes, ainsi que la formation scientifique des personnes impliquées. Bien sûr, on peut critiquer les études. C’est même tout à fait souhaitable : c’est aussi comme ça que la recherche avance. En prenant conscience de ses erreurs. En confrontant des points de vue contradictoires. Mais il me semble que pour ce faire, il faut avoir une formation suffisamment solide pour comprendre les subtilités présentées dans un article scientifique. Or de ce que j’ai pu constater, les critiques émises par des personnes qui ne sont pas formées à la recherche sont souvent injustifiées, simplement la personne est passée à côté d’une précision méthodologique ou statistique de l’étude.

 

Alors oui, il peut y avoir des biais. Je le redis, l’étude parfaite n’existe pas. Mais les conclusions d’une étude qui est passée par tout ce processus auront toujours beaucoup, beaucoup moins de biais que l’expérience personnelle.

L’expérience personnelle ne peut pas être considérée comme un argument scientifique. Vraiment pas. Même si on est passionné.e. Même si on s’intéresse beaucoup aux oiseaux. Même si on les a observés, qu’on a interagi avec eux pendant des années dans des contextes très différents. Même. Parce que souvent, quand on parle de son expérience personnelle comme d’un argument scientifique, on n’est pas formé à la recherche scientifique. On est donc moins au fait des différents biais existants. Par ailleurs, l’expérience personnelle est souvent vécue seule.

Et même si les observations personnelles sont corroborée par celles de plusieurs personnes (même beaucoup, même des centaines de personnes) :

(1) ces observations ne sont pas encadrées par une méthodologie scientifique. Dans le cas où les observations de plusieurs personnes se recoupent, il n’y a aucun moyen de vérifier que toutes ces observations aient été faites EXACTEMENT dans les mêmes conditions expérimentales ; elles ne sont donc pas non plus comparables

(2) ces observations n’ont pas fait l’objet de statistiques permettant de vérifier l’absence de biais et la généralisation des résultats

(3) ces observations n’ont pas été passées au crible fin par des chercheurs objectifs et externes au projet pour permettre un réajustement des conclusions.

On peut ne pas être d’accord avec la méthodologie scientifique. On peut considérer que l’expérience personnelle est plus fiable (même si, pour toutes les raisons que j’ai évoquées au-dessus, je n’y crois pas). Mais on ne PEUT PAS considérer que sa propre expérience, est un argument scientifique.

 

2 réponses sur “La recherche scientifique, comment ça marche ?”

  1. Tout est dit. 👌👌👌

    Merci d’avoir pris le temps de faire cet article, et de l’avoir fait aussi vulgarisé, car ce n’est effectivement vraiment pas tout le monde qui est courant des étapes menant à la publication d’un article scientifique. 🙂

    EXCELLENT TRAVAIL! 👌❤️🦜

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