La taille des plumes – L’oiseau qui ne pouvait plus voler

J’ai rencontré Bahloo pour la première fois il y a quelques années. A l’époque, il avait quasiment deux ans. Et il volait encore.

Bahloo était un oiseau placide au caractère facile. Un peu solitaire depuis la mort de son frère Rama, il se montrait cependant très familier avec les humains qui travaillaient avec lui : souvent perché sur mon épaule, il se glissait dans mes cheveux ou tirait sur mes boucles d’oreille. Il aimait particulièrement se poser sur le point le plus haut du perchoir.

Mais un matin, quand nous sommes entrés dans la volière, Bahloo était au sol et ne s’est pas envolé à notre approche – comportement très inhabituel de sa part. L’oiseau battait pourtant des ailes, mais l’une d’entre elles s’agitait misérablement et l’empêchait de prendre de la hauteur. Le verdict est tombé suite à une visite en urgence chez le vétérinaire : Bahloo s’était luxé l’aile, probablement suite à un choc. Il ne pourrait plus jamais voler. Nous suspections une terreur nocturne, dont certains oiseaux sont victimes, mais n’avons jamais eu de confirmation quant à la raison de cette luxation.

S’en sont suivies de longues années chaotiques pour Bahloo, et ce malgré nos efforts pour adapter l’environnement à son handicap. Au fur et à mesure des mois, il a bien sûr compris qu’il ne pouvait plus voler. Tout individu (humain ou non) qui s’approchait d’un peu trop près était vivement menacé du bec : il savait qu’il n’avait que peu d’échappatoires, et que l’envol n’en faisait pas partie. Mais Bahloo n’a jamais perdu son instinct d’oiseau : même après plusieurs années de handicap, à la moindre frayeur, son réflexe restait l’envol. Un envol bien malheureux, puisqu’en l’absence d’une aile, la chute était toujours au rendez-vous.

“Les conséquences d’une incapacité au vol peuvent être dramatiques pour le bien-être de l’oiseau. “

 

À force de s’écraser au sol, Bahloo s’est blessé aux pattes. Une fois, deux fois, dix fois, parfois jusqu’au sang. Un jour, nous avons été obligés de retirer la croûte de ses blessures, qui commençaient à s’infecter. J’ai un souvenir particulièrement horrible de ce moment : c’est la seule fois de ma vie où j’ai jamais entendu un oiseau crier de douleur, et ce malgré tous mes efforts pour être délicate et suivre au mieux les indications du vétérinaire. Un autre jour, suite à une ènième chute, notre visite à la clinique nous a appris que le pronostic vital de Bahloo était engagé, et qu’il n’y survivrait peut-être pas.

Bahloo a survécu. Mais au prix de nombreux soins, qui étaient souvent douloureux : désinfection, pose de bandages et changements quotidiens de pansements. Il a survécu au prix de sa liberté, car au cours de ces longues périodes où ses pattes cicatrisaient, nous ne pouvions pas prendre le risque de le laisser s’abîmer à nouveau. Il a donc été enfermé en cage pendant des mois.

Aujourd’hui, nous laissons Bahloo sortir de sa cage sur des périodes de quelques heures : un aménagement adapté de son environnement et une supervision de notre part permettent de limiter les risques. Mais du fait de son handicap, ses rapports avec les autres oiseaux ont changé : c’est un oiseau très solitaire, qui repousse la compagnie de ses semblables de peur de tomber. Les nombreuses visites chez le vétérinaire et les soins qui en ont découlé l’ont rendu plus méfiant vis à vis des humains. Il ne volera plus jamais. Il passera de longues heures enfermé. Il se blessera encore, peut-être, parce que toutes ces années de handicap ne feront jamais le poids face à sa nature : Bahloo est un oiseau. Pour lui, voler c’est survivre. Sans cette capacité essentielle et malgré tous nos efforts, je doute qu’il puisse jamais se trouver dans un état de bien-être.

Il est fondamental de laisser à nos oiseaux leurs plumes entières, de leur permettre d’exprimer ce comportement inhérent à leur nature. Comme le montre cette histoire vraie, les conséquences d’une incapacité au vol peuvent être dramatiques pour l’oiseau : pour sa santé, pour sa sociabilité. En quelques mots, pour son bien-être. Vivre dans un environnement humain est déjà extrêmement contraignant pour eux, à bien des égards. Ne les privons pas de l’essentiel.

 

*Pour aller plus loin*

👉 (Re) voir la vidéo sur les conséquences de la taille des plumes :

👉 L’article sur les conséquences de la taille des plumes est disponible ici.

👉 Les références scientifiques portant sur les conséquences négatives d’une capacité de vol insuffisante :

Biewener, A.A., 2011. Muscle function in avian flight: achieving power and control. Philosophical Transactions of the Royal Society B: Biological Sciences, 366(1570), pp.1496-1506. https://royalsocietypublishing.org/do…

Harrison, G.J. and Lightfoot, T., 2005. Clinical Avian Medicine. Spix Publishing, p. 393. http://avianmedicine.net/wp-content/u…

Peng, S.J.L., Chang, F.C., Sheng-Ting, J.I. and Fei, A.C.Y., 2013. Welfare assessment of flight-restrained captive birds: effects of inhibition of locomotion. The Thai Journal of Veterinary Medicine, 43(2), p.235.

Shimizu, T., Shinozuka, K., Uysal, A.K. and Kellogg, S.L., 2017. The origins of the bird brain: multiple pulses of cerebral expansion in evolution. In Evolution of the Brain, Cognition, and Emotion in Vertebrates (pp. 35-57). Springer, Tokyo.

Strunk, A. and Wilson, G.H., 2003. Avian cardiology. The veterinary clinics of North America. Exotic animal practice, 6(1), pp.1-28. https://www.vetexotic.theclinics.com/…

👉 L’article explorant les symptômes de stress post traumatique chez l’oiseau :

Zanette, L. Y; Hobbs, E. C.; Witterick, L. E.; MacDougall-Shackleton, S. A. & Clinchy, M. (2019) “Predator-induced fear causes PTSD-like changes in the brains and behaviour of wild animals”, Scientific Reports, 9 ​

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